Parmi les enseignements du confinement, le télétravail est sans doute celui qui interroge le plus la société dans son ensemble. La députée LREM Marjolaine Meynier-Millefert y voit même un intérêt pour l’efficacité énergétique des bâtiments tertiaires.

Des idées fortes naissent toujours après de grands bouleversements. La crise pandémique du coronavirus est un bouleversement. Bouleversement dans nos familles avec les souffrances infligées aux malades ; bouleversement dans nos structures de santé en raison des épreuves supportées par nos personnels soignants ; bouleversement dans notre environnement social avec ses conséquences sur nos structures associatives, sportives, culturelles, nos cafés, nos restaurants. Et bien sûr, bouleversement pour tous les pans de notre économie.

Mais des crises d’une telle ampleur sont très souvent à l’origine d’idées fortes que l’on croyait pourtant irréalistes ou irréalisables seulement quelques temps auparavant.

Il y a trois ans, personne ne parlait de rénovation énergétique. Aujourd’hui, cet impératif s’impose à tous comme une évidence. Personne n’osait imaginer la massification du télétravail ; aujourd’hui, plus personne n’en conteste l’opportunité. De même certainement dans quelques mois, chacun parlera d’optimiser le taux d’occupation de nos bâtiments.

J’ai découvert récemment une de ces idées qui bouscule. Elle a particulièrement attiré mon attention et fait suite à ma rencontre avec un collectif d’entrepreneurs. Je voudrais la partager ici et la propulser pour que, dès ce mois de septembre, dans les entreprises de notre pays, nous puissions répondre aux attentes de transformation de nos organisations du travail, en cours depuis quelques mois, et gagner tout de suite des points sur le défi de la rénovation énergétique des bâtiments.

Des espaces inoccupés

Peut-être le savez-vous, nos bureaux, nos espaces tertiaires, ne sont bien souvent occupés que la moitié du temps ouvrable. Mais cette « sous-utilisation » chronique est totalement invisible à nos yeux. Pour le gestionnaire du bâtiment, l’espace est une ligne de coût, pas un revenu potentiel. L’utilisateur, quant à lui, ne voit pas, par définition, l’espace vide créé par le poste qu’il laisse inoccupé. Des espaces vides pourtant entretenus, gardiennés, chauffés l’hiver ou rafraîchis l’été. Du vide qui coûte cher quand on sait qu’un poste de travail constitue une charge comptabilisée entre 8 000 et 12 000 euros par an, en coût global. C’est sans compter les salles de réunion, de formation, les lieux de séminaires et, dans nos bâtiments publics, tant d’espaces intérieurs largement sous-utilisés.

L’émergence soudaine et forcée du télétravail depuis le 16 mars dernier, nous a fait prendre conscience qu’une autre voie était possible. Mais nous n’avons pas encore poussé assez loin le raisonnement. Nous constatons toutes les limites du télétravail lorsque celui-ci est réalisé au domicile : isolement, manque de repère et de séparation vie professionnelle / vie privée, difficultés d’organisation quand deux personnes d’un même foyer sont en télétravail. Et puis, il existe toujours les réticences culturelles de l’employeur, du manager qui ne voit plus ses équipes. Et comment organiser une réunion avec ses collègues ? Dans son salon ? On imagine mal ce modèle tenir sur le long terme et de manière massive.

Il est donc nécessaire de trouver des lieux pour le travail, plus près de chez soi. Il y a bien sûr les espaces de coworking ou tiers-lieux. Mais extrapolons juste un instant à partir d’un cas très concret : le groupe PSA a signé avec les partenaires sociaux un accord sur le télétravail dans lequel 80 000 salariés sont directement concernés au niveau mondial. Faudrait-il construire 20 000 postes de travail supplémentaires pour ces télétravailleurs, ou devons-nous nous résoudre à accepter le transfert de 40 % de la valeur ajoutée créée par le groupe PSA au domicile de ses salariés, sans même que les communes concernées n’en aient un retour fiscal ?

Faisons de nos espaces sous-occupés la nouvelle richesse de nos bâtiments de demain. Transformons-les en lieux résilients, à l’origine de cette innovation.

Dès aujourd’hui, mobilisons 10 millions de m² d’espaces tertiaires pour les ré-agencer et proposer un usage partagé utilisant les ressources existantes localement, tout en assurant la sécurité et la protection sanitaire des occupants et la transition écologique des lieux, en permettant le recyclage et le réemploi dans l’agencement, l’introduction systématique des éclairages à faible consommation, le traitement de l’air sans usage de particule nocive pour l’environnement.

Dès aujourd’hui, prenons le chemin du « zéro artificialisation nette »

Cette proposition impulse efficacement le chemin vers le « zéro artificialisation nette » que France Stratégie préconise d’atteindre d’ici à 2050. La première étape de cette démarche consiste en effet à freiner nos pratiques par le renouvellement urbain.

Optimiser le taux d’occupation du bâtiment permet un fort gain en termes de croissance, presque sans consommation supplémentaire ou avec un faible écart. Le Plan bâtiment durable avait démontré cela en 2014. Un bâtiment fortement utilisé (24 / 24 h, 365 / 365 jours) consomme seulement 2,43 fois plus qu’un bâtiment utilisé cinq fois moins.

Ainsi, la production de valeur ajoutée profite de l’inertie même du bâtiment. Car l’énergie nécessaire au bon fonctionnement de celui-ci est déjà consommée au moment où elle est utile pour l’éclairage, le chauffage, la sécurité, l’entretien, les autres prestations de maintenance et d’entretien. La production de chaque euro de PIB ainsi produit se réalise alors à un coût marginal réduit.

D’autant que cette production entraîne bien d’autres externalités positives.

Comme le télétravail à domicile, l’usage partagé de ces surfaces inutilisées provoque la réduction des déplacements et par conséquent celle des risques d’accident de trajet (Une étude du CEREMA) montre que les trajets domicile-travail sont à l’origine de deux décès, soixante blessés dont dix-neuf graves par jour sur les routes de France – données 2014). L’usager profitant d’un déplacement court, qu’il peut réaliser à pied ou à vélo, pourra plus aisément orienter sa consommation vers des commerces locaux. Contrairement au télétravail à domicile qui isole, le travail en espace partagé favorise la naissance d’opportunités par effet du « hasard heureux » (effet de sérendipité) et contribue à renforcer la solidarité, les liens sociaux au niveau de la maille locale.

Cette utopie ? Le collectif d’entrepreneurs visionnaires Manifeste pour un nouvel usage du bâtiment, dont le travail mériterait d’être suivi, le met déjà en œuvre sans nous attendre… Rejoignons-le et saisissons dès maintenant cette opportunité de penser l’usage d’un bâtiment tertiaire résilient, porteur d’innovations frugales, pour mieux accueillir la transformation du travail au bénéfice de tous.